La liberté dans le mouvement
 
Originaire du Cameroun, qu’il fuit pour des raisons de sécurité personnelle, le peintre autodidacte Salvador Tomnyuy, n’hésite pas à se présenter comme un peintre marocain. C’est d’abord dans ce pays d’accueil qu’il découvre en effet la peinture qui constitue pour lui un exutoire, une véritable planche de salut. Peindre pour exister, pour survivre : à défaut d’être une vocation, la peinture relève ici de la nécessité intérieure. Faisant feu de tout bois, doté d’une énergie combative à nulle autre pareille, il se met à peindre sur des tickets de tram ou des papiers recyclés des images de boxeurs dont la figuration libre frappe par sa vitalité et sa profusion de couleurs. La peinture devient très vite une pratique intensive que Salvador exerce avec la régularité et l’endurance d’un athlète, mais surtout la concentration extrême d’un ascète. Il peint comme l’on rend coup sur coup, face à un destin qui prend toujours plaisir à s’acharner. 
 
N’ayant pas reçu l’obtention d’un nouveau visa de séjour pour retourner dans son pays d’adoption, il continue de se déplacer là où des vents plus hospitaliers veulent bien l’accueillir. C’est à Dakar qu’il trouve aujourd’hui refuge et recommence à s’adonner, grâce à l’entremise de quelques amis de cœur, à sa passion de peindre avec la ténacité d’un battant qui ne s’en laisse jamais compter. Plaçant son travail actuel sous le signe de la liberté – et notamment de la liberté de mouvement à laquelle aspire une grande partie de ses frères africains –, le peintre redonne vie à ses figures de prédilection, aux yeux exorbités par la soif de vivre, mais sans doute aussi par la peur, et aux poings rageurs. Ces créatures hybrides dont le corps donne toujours l’impression d’avoir été emmailloté ou ficelé dans un carcan invisible, semblent aspirer à une éclosion incertaine. Leur contour est souvent dessiné au charbon et leurs têtes, rehaussées d’une couronne, sont de lointaines réminiscences des personnages de Basquiat, toujours en quête du royaume des dépossédés et des affranchis. L’utilisation du charbon n’est pas ici une coquetterie ; de la poussière qu’il en émane, l’artiste perçoit toute la fragilité de nos existences. Comme il est dit dans la Genèse, ne redeviendrons-nous pas tous poussières ?
 
Dans ces toiles, l’expressivité est de mise, et dans la liberté figurative qui est la sienne, le peintre retrouve la spontanéité du geste des grapheurs. Il n’hésite pas à rehausser son utilisation de la peinture acrylique de bombes aérosols comme pour mieux témoigner d’une rage intérieure le poussant à créer. Parfois, une terre sablonneuse est appelée en renfort et confère à la toile la texture nerveuse d’une fresque murale. Un face-à-face digne d’un combat de boxe confronte l’artiste à la toile sur laquelle il appose ses mots d’ordre pacifiques prenant ici la forme de subtils gestes de tendresse, de mains tendues ou esquissant un salut fraternel. Àl’image des frontières, les mains peuvent s’ouvrir dans une tentative de réconciliation toujours à rechercher entre les frères humains, mais elles peuvent aussi se refermer en des poings incarnant tout autant l’esprit de vengeance que de résistance. C’est dans cette dialectique de l’ouverture-fermeture que peut éclore la liberté. Une liberté de mouvement qui est aussi celle du geste pictural. 
 
Une série inédite de peintures réalisées entièrement sur des papiers recyclés dont la couleur or brillant semble ici sublimer les blessures du quotidien, convoque de nouveau les figures de boxeurs chers à l’artiste. Leur morphologie rappelle tout autant la statuaire africaine que la figuration libre d’un Keith Haring. Dans sa quête de liberté, l’artiste assume la pluralité de ses influences, comme si l’art avait la vertu de pouvoir réconcilier les contraires. C’est en puisant dans un répertoire de formes et de symboles universels que se perpétue ainsi la liberté gestuelle des peintres toujours avides d’affranchissement et de cette « liberté libre » dont parlait le poète Arthur Rimbaud. 

Olivier Rachet